Un journaliste « libre et indépendant », Alexis Kraland, publie sur sa page Facebook un compte rendu étayé par des vidéos des derniers événements MIGRANTS / FRONTIERE VINTIMILLE – MENTON
No Borders : la lutte continue près de Vintimille
Depuis l’année dernière, la frontière franco-italienne est fermée aux migrants. Le flux de nouveaux arrivants passés par la Méditerranée continue pourtant d’arriver depuis le Sud de l’Italie avant d’être freiné par la police à Vintimille.
En un an, il a plus que doublé si l’on se base sur le nombre de migrants hébergés par la Croix-Rouge : jusqu’à 700, tandis que le camp fermé en mai dernier, près de la gare, accueillait quelques centaines de personnes. Reportage dans la zone frontalière, entre les migrants, la police et les No Borders.
« Le passage de la frontière franco-italienne est de plus en plus dur et la solidarité avec les réfugiés toujours plus criminalisée » ont cependant déclaré les collectifs, associations et individus réunis à l’occasion du congrès du Forum Civique Européen à Forcalquier.
En même temps, la militarisation de la zone frontalière s’est accentuée avec l’état d’urgence déclaré en France et dans la commune de Vintimille en juin 2015. Des militaires patrouillent désormais dans les rues de Menton, dans les gares de Vintimille ou encore de Sospel. A Breil-sur-Roya, les militaires repèrent les non-blancs suspectés d’entrée irrégulière avant de les remettre à la police témoigne Amélie, militante toulousaine. Côté italien, ce sont des chasseurs alpins, sans fusils, tandis que les militaires français arborent le Famas.
Ici comme à Paris, les migrants dorment sous les ponts ou dans des camps informels éloignés du regard des touristes. Sur les bords de la Roya, des migrants endormis et enveloppés dans leurs sacs de couchage ressemblent de loin à des cadavres abandonnés.
Face à la hausse du nombre de migrants et à la saturation du camp de la Croix-Rouge, une cinquantaine de femmes et d’enfants ont néanmoins pu trouver refuge dans dans une église où l’association Caritas, l’équivalent du Secours Catholique, apporte son aide. Cette aide n’est cependant pas généralisée et cause des tensions entre les migrants de différentes nationalités et différentes religions.
Posté devant l’église, Claudio, un militant qui a passé 3 semaines de suite dans la zone frontalière, m’explique que les soudanais musulmans regardent de loin les erythréens catholiques aidés par l’Eglise. En effet, ceux que je rencontre ici ne peuvent même pas obtenir ne serait-ce que l’attention des bénévoles de l’association catholique.
A près d’un kilomètre, au camp de la Croix-Rouge, les migrants se plaignent d’une nourriture de mauvaise qualité, quand il y en a. Mohammed, un soudanais qui a la quarantaine, en a marre de manger tous les jours des spaghettis. Il n’est pas venu en Europe pour ça me dit-il d’un air dépité.
La police italienne patrouille régulièrement le long des trajets utilisés par les migrants, mais aussi à l’entrée et à l’intérieur du camp. Les migrants sont parqués là tandis que les camps de bric et de broc sont rapidement expulsés. Les informations juridiques dont ils ont besoin ne sont que peu disponibles : il faut faire la queue pour en obtenir quelques unes auprès de volontaires débordés.
Le camp est situé au nord de Vintimille, pas loin d’un vieux bâtiment abandonné, sous un échangeur d’autoroute. Pour rejoindre la ville à pied, il faut longer des routes sur 2 kilomètres, sous le cagnard, sans être à l’abri d’un chauffard car il n’y a pas de trottoir le long des routes. Les activistes qui suivent la situation dénoncent également des manquements de Caritas concernant les questions sanitaires à l’Église. Le nombre de lits disponibles au camp institutionnel force de nombreuses personnes à dormir par terre selon Ibra, un soudanais d’une vingtaine d’année qui a quitté ce camp.
Face à la condition à laquelle les autorités les réduisent, les migrants sont partis en manifestation à près de 400 le 4 juillet, en direction de la frontière. La police italienne les a bloqués et a chargé plusieurs fois.
Le 5 août, près de 200 migrants ont rejoint la zone frontalière à Balzi Rossi, sur les lieux du camp autogéré de l’année passée, après un passage discret par les rails qui longent la côte. Arrivés à 3h du matin à quelques centaines du Pont Saint-Ludovic, ils ont décidé de ne pas forcer un passage faiblement défendu par la police française et italienne.
Contrairement à ce qu’indique la presse italienne, cette action n’était pas organisée par les No Borders. J’étais le seul blanc présent dans la foule de soudanais qui quittait Vintimille, et les militants étaient à la ramasse, seulement là pour apporter de l’eau à l’arrivée, et pour se faire arrêter.
Sur les lieux de l’ancien « presidio » No Border, la police a encerclé les migrants et les soutiens dans la matinée, afin de les empêcher de partir, pour les affamer et les assoiffer. Dans l’après-midi, autour de 18h30, la police a chargé la foule car des militants sortaient un sac de bouteilles d’eau d’une voiture rapporte François, militant italien.
C’est ce moment que des migrants ont pu prendre la direction de la France. La gendarmerie française a tenté de stopper le passage et a tiré des grenades de gaz lacrymogène, sans succès, mais une chasse à l’homme a eu lieu jusqu’à Nice. La plupart des migrants arrêtés ont été ramenés en Italie et déportés, mais « certains ont pu passer entre les mailles du filet » raconte Nicolas, un militant français.
Pour avoir apporté de l’eau aux migrants massés au soleil, 2 militants ont reçu des restrictions administrative de territoire : interdiction de se rendre dans les 16 communes de la province de Vintimille en tant qu’italien, et interdiction de territoire italien pour 5 ans en tant qu’étrangers. La répression à l’égard des soutiens vise à briser la solidarité avec les migrants mais également entre les soutiens de différentes nationalités.
Durant les opérations de police, la presse a été muselée : des journalistes de France 3 et des indépendants molestés du côté français comme du côté italien. Les “digos” m’ont dit de me tenir tranquille avec la presse italienne mise au pas, et de ne pas filmer du côté des manifestants, mais à dix mètres derrière les lignes de police anti-émeute. “Si t’es un journaliste, tu fais comme les journalistes italiens, sinon t’es pas un journaliste” me dit l’un des digos. L’autre y va plus franco : “rentre dans ton pays”.
Le 6 août, les policiers italiens ont bloqué les militants qui voulaient parler aux migrants du camp de la Croix-Rouge, avant de tirer des grenades de gaz lacrymogène. J’étais posté en face sur la colline. Les militants ont traversé le pont en fuyant la police qui les a chargé par derrière, les véhicules arrivant en trombe. Un homme tombe à terre. Les militants courent vers la route qui mène au camping. Un petit groupe, resté en retrait, construit des barricades, mais des voitures arrivent pile à ce moment pour emporter les fuyards. Les barricades sont mises de côté.
Pour les militants, c’est la panique: que la personne en réanimation soit d’un côté ou de l’autre, la situation devient grave. C’est par mes images qu’ils apprennent finalement qu’il s’agit d’un policier. La confirmation dans la soirée sème le désordre dans le camping plongé dans la nuit.
Plus tard, dans une conférence de presse, les militants ont tenu à défendre l’absence de lien entre leurs actions et le décès du fonctionnaire. « Vu l’endroit où il est tombé, cela n’a rien à voir avec nous » réfute Marie, militante française qui était sur place.
13 militants ont été arrêtés ce jour-là et 11 ont eu une interdiction de territoire : la plupart pour 3 ans et 16 communes. Deux d’entre eux, Alessia et Beppe, ont fait 2 jours de prison et attendent un éventuel procès pour résistance et blessure sur les policiers. Au total, près d’une quarantaine de militants ont été interdits de territoire en une semaine.
Le lendemain, le 7 août, une centaine de personne se réunissent pour manifester contre les frontières. La police italienne bloque l’accès vers le centre-ville de Vintimille. Les manifestants se sont ensuite dirigés vers la plage afin de s’y disperser. Ils auront été accompagnés par un hélicoptère de la police qui surveillait la manifestation et les migrants du camp de la Croix-Rouge, sans doute afin d’éviter une convergence des deux forces.
Souvent, une alerte retentit dans le camping : la police locale, les « digos », la police politique, la police forestière ou encore un hélicoptère viennent faire un tour près de la base militante situé dans la commune de Ciaixe, perché sur une colline au nord de Vintimille. Ils sont rapidement reconduits, parfois après avoir pris en photo les plaques d’immatriculation des véhicules présents.
Le 11 août, la police italienne est venue en nombre au local Freespot dans la commune de Camporosso, afin d’expulser l’association au nom de problèmes d’hygiène et de sécurité et ce malgré la tentative de médiation du propriétaire et de l’avocat de l’association qui vient en aide aux migrants.
“Une première perquisition avait déjà eu un résultat négatif, obligeant évidemment les institutions à reformuler l’ampleur des accusations : il y a deux jours ils cherchaient des armes, aujourd’hui ils se contentent de matelas et draps. En quelques mois, c’est la deuxième fois que l’association est expulsée des locaux loués régulièrement avec des prétextes infondés” rapporte Teresa Maffeis, de l’Association pour la Démocratie à Nice.
Le 6 août, une perquisition avait déjà eu lieu sans mandat afin de chercher des armes sous couvert de législation antiterroriste. Aucune arme n’avait été trouvée, mais un gramme de cannabis avait été saisi.
Dans la presse locale, le « No Border » fait l’objet d’une « analyse politique » par les services de renseignements transalpins : ils seraient comme « les brigades rouges, sans le marxisme » et « plus organisés que les zadistes ». Etant donné qu’ils ne versent ni dans la lutte armée, ni dans l’occupation pérenne de territoires, la comparaison semble hasardeuse, ou plus probablement destinée à légitimer la criminalisation des soutiens des migrants auprès de la population. Le préfet d’Imperia a quant à lui évoqué un “blitz” quand les migrants ont décidé de rejoindre la frontière le 5 août au matin.
Réunis en assemblée, les militants ont décidé de poursuivre leurs actions dans la zone frontalière tandis qu’une « opération de décompression », euphémisme pour la déportation, devrait avoir lieu selon Franco Gabrielli, directeur général de la police italienne. Le “transfert” a déjà commencé vers le Sud de l’Italie. Mais certains migrants ont choisi de monter la colline, et de rejoindre leurs soutiens, perchés au-dessus de Vintimille, en quête d’un chemin vers un avenir meilleur.
Les évènements cités par ordre chronologique :
4 juillet https://www.youtube.com/watch?v=RVvCGKVQnKo
5 août https://www.youtube.com/watch?v=xtZci9vqiYs