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Journal Zibeline : « Vallée en résistance » – décembre 2017

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Reportage dans la vallée de la Roya, entre Italie et France, auprès de citoyens solidaires des migrants

Vallée en résistance

Reportage dans la vallée de la Roya, entre Italie et France, auprès de citoyens solidaires des migrants - Zibeline

En juin 2015, beaucoup de migrants arrivent à Vintimille, en Italie, et cherchent à poursuivre leur route d’exil en Europe. Ils sont actuellement de plus en plus nombreux, et depuis cette date, la France tente de bloquer leur passage. Les autorités ont rétabli les postes frontières et déployé des barrages fixes ou mobiles le long des routes. Dans la vallée de la Roya, à cheval entre les deux pays, pour contrer les insuffisances de l’État, la solidarité avec les migrants s’est peu à peu mise en place. De plus en plus active, de plus en plus surveillée, de plus en plus réprimée, c’est devenu aujourd’hui une véritable résistance.

 

Vallée de la Roya. Les montagnes, le rouge et ocre des paysages d’automne, de jolis villages perchés, des routes qui serpentent entre France et Italie, à mi-chemin de Nice et de Vintimille. Voilà pour la carte postale. Le long de ces routes, des hommes, des femmes, très jeunes pour la plupart, marchent. Ce pourrait être des auto-stoppeurs, en balade dans cette belle région. Mais ils ne tendent pas le pouce. Ils avancent, droit devant. Leur proposer de monter dans sa voiture est une infraction. Car ce sont des migrants. Mot adopté récemment pour désigner ces milliers de personnes qui cherchent à gagner l’Europe.

Ce terme les englobe dans une masse, un flux. Ils ne sont pas des individus immigrés, ou émigrés, ils migrent. Comme si ce glissement sémantique était une façon pour nos sociétés à la fois de tolérer leur mouvement et de refuser qu’ils s’installent ici. Dans le meilleur des cas, ils deviennent demandeurs d’asile, puis réfugiés, si leur requête est acceptée. Dans le pire des cas, ils seront des clandestins. Avant tout, ils restent des migrants. Leur voyage a commencé à des milliers de kilomètres de là. Ils ont fui des pays en guerre ou en grande instabilité. Ils ont pris des risques insensés, payé des sommes considérables pour atteindre l’Europe et franchir la Méditerranée au péril de leur vie.

Dénuement et précarité

À Vintimille, ils sont aujourd’hui plusieurs centaines. Certains sont pris en charge par des organisations humanitaires. Sous l’église Sant Antonio, Caritas, le Secours Catholique italien, a ouvert fin mai un centre d’hébergement. Ils sont environ 80 à y être accueillis. Des familles pour la plupart, des enfants, et même des bébés, peut-être nés sur le chemin de l’exil. Ils viennent du Soudan, de Libye, d’Afghanistan. Les lits superposés remplissent les deux dortoirs, l’un pour les femmes et les enfants, l’autre pour les hommes. Le lieu est tenu par des bénévoles et son fonctionnement ne repose que sur les dons de particuliers. Les conditions de vie restent précaires mais l’ambiance est chaleureuse, conviviale.

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À l’extérieur, sur le parvis de l’église, de nombreux hommes sont rassemblés. Ils savent qu’ils ne pourront pas entrer dans le centre, déjà plein. Certains dorment au campement de la Croix Rouge, très éloigné du centre-ville. En octobre 2015, Zibeline s’était rendu à Vintimille, dans le centre de la Croix Rouge, alors installé près de la gare et qui accueillait 150 personnes. Il a été fermé depuis et ce nouveau lieu compte 350 places, mais ils seraient plus du double à y trouver refuge. Ceux qui n’y vont pas cherchent un abri en ville, ou le long des berges de la Roya. L’hiver approchant, le fleuve est agité. Fin novembre, la montée des eaux a surpris l’un d’eux qui s’y est noyé. La pluie est fréquente en cette saison, le froid est déjà rude. Des personnes sont pourtant en tongs, short et t-shirt. Certains partent dans cette tenue pour tenter de rallier la France.

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Solidarité affirmée

Dans la vallée frontalière, les habitants croisent chaque jour des hommes ou des femmes qui bravent tous les dangers sous les tunnels et au bord des routes étroites. Dans beaucoup de villages de la Roya, la solidarité s’est organisée. La région est devenue une zone d’exception. Côté français, par endroits, la surveillance policière et militaire est maximale. En remontant vers Menton, l’accès à Sospel et Breil-sur-Roya est contrôlé 24/24 par un barrage de gendarmes. Arrêt obligatoire à chaque passage. Une véritable frontière intérieure, un check-point.

Les habitants parviennent cependant à contourner ces dispositifs. L’association Roya Citoyenne rassemble quelques centaines de sympathisants, plus ou moins actifs. L’attitude de l’État, exclusivement sécuritaire, les a contraints à se mobiliser pour répondre à l’urgence humanitaire. Un véritable réseau de résistance s’est mis en place où chacun œuvre à son niveau, selon ses moyens et son engagement. « Les gamins arrivent ici, on peut pas les laisser dehors », explique Pierrette, qui vit près de Breil.

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Ce village est le plus proche de la frontière. C’est là aussi qu’est installé Cédric Herrou, agriculteur de 37 ans. Il est accusé d’avoir transporté et hébergé des personnes en situation irrégulière. Son procès, prévu le 23 novembre à Nice, a été reporté au 4 janvier. Il assume les faits et les revendique. « J’ai des gens chez moi depuis 4 mois, ça ne désemplit pas. Quand des gens frappent à ma porte, elle reste ouverte. Qu’ils aient des papiers ou non, qu’ils soient blancs ou noirs, ça ne m’importe pas. »

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Cette attitude d’affirmer sa solidarité est de plus en plus répandue. « C’est pour alerter les dirigeants, les mettre face à leurs responsabilités. On ne fait que de l’humanitaire. Je ne me sens coupable de rien quand je vais porter à manger à des gens », raconte Pâquerette, un peintre d’une soixantaine d’années. Un arrêté municipal interdit pourtant de distribuer de la nourriture dans les rues de Vintimille. Chez Pâquerette, un placard est rempli de vivres qu’il répartit avec d’autres militants pour organiser tous les soirs des maraudes dans la ville.

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« Roya Citoyenne n’aide personne à passer la frontière, précise-t-il. On s’occupe des gens quand ils sont en France, on les aide à se retaper quelques jours, ils en ont bien besoin, et on les emmène plus loin pour qu’ils poursuivent leur route. »

Solidarité criminalisée

Individuelles ou collectives, affirmées ou discrètes, les actions de soutien aux migrants sont très nombreuses dans la vallée. Selon un autre militant, « pour les autorités, le véritable danger, c’est nous. S’ils nous éliminent, ils régleront facilement la question des migrants. » De fait, début décembre, Eric Ciotti, le président du département des Alpes-Maritimes, a dénoncé à la justice les « agissements de ces individus » qu’il qualifie de « délinquants » et les assimile à des « passeurs ».

Pourtant il n’en est rien. Les habitants résistants de la Roya ne reçoivent aucune contrepartie. Ils agissent par solidarité, par humanité, et parce qu’ils sont confrontés à des situations qui relèvent de l’assistance à personne en danger. « On doit se substituer aux pouvoirs publics », expliquent-ils. Une plainte a d’ailleurs été déposée par plus de 300 citoyens contre le département, la Région PACA et l’État, pour « délaissement de personnes hors d’état de se protéger (Article 222-3 du code pénal). » D’autant plus quand il s’agit de mineurs, qui doivent être pris en charge par les services de protection de l’enfance gérés par le département, mais sont très souvent ramenés en Italie, au mépris de la loi.

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Plus que jamais, la volonté de l’État est de criminaliser la solidarité. Et de faire des exemples. Le 23 novembre, Pierre-Alain Mannoni, un universitaire de 45 ans, a été jugé pour avoir transporté trois jeunes Erythréennes blessées. Il affirme avoir agi par aide spontanée et humaine. L’accusation a tenté de démontrer, en décortiquant son emploi du temps, en épluchant ses SMS, qu’il était un militant engagé. Le procureur a requis six mois de prison avec sursis à son encontre.

Le but est manifestement de faire peur, de dissuader les citoyens d’agir ainsi. L’intimidation ne fonctionne pas. Ils étaient des centaines à soutenir et acclamer Pierre-Alain Mannoni devant le tribunal de Nice. Lors d’une discussion informelle, le procureur lui-même reconnaissait que M. Mannoni « moralement, n’a commis aucune infraction ». La loi respectera-t-elle la morale ? « Si vous le condamnez, vous aurez une lourde responsabilité » a conclu son avocate. Le verdict sera rendu le 6 janvier.

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JAN-CYRIL SALEMI
Décembre 2016

Illustrations :
Devant le Palais de Justice de Nice © Malika Moine
Repas à Caritas © Malika Moine
Devant l’église Sant-Antonio à Vintimille © Malika Moine
Pierrette © Malika Moine
Cédric Herrou parle aux journalistes © Malika Moine
Maraude sous la pluie à Vintimille © Malika Moine
Au centre d’hébergement de Caritas © Malika Moine
Réquisitions procès Pierre-Alain-Mannoni © Malika Moine

A lire :
Le reportage de Zibeline réalisé à Vintimille en octobre 2015
Le reportage de La Marseillaise sur la journée Marseille avec les migrants, le 11 décembre 2016

A écouter :
Le reportage de Web Radio Zibeline réalisé à Vintimille en octobre 2015
Le reportage de Web Radio Zibeline réalisé à Nice et dans la vallée de la Roya en novembre 2016

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Un commentaire

  1. THOMAS Dominique

    4 janvier, 2017 à 1:15

    Sincèrement tout avec vous. Merci de ce que vous faites au nom de tous ceux qui ne peuvent être là à vos côtés

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