http://www.liberation.fr/france/2017/01/20/la-roya-perquisition-chez-cedric-herrou_1543039
Une vingtaine de gendarmes, armés, casqués, se sont rendus dans la ferme de cet agriculteur de la vallée de la Roya, qui apporte son aide aux migrants qui franchissent la frontière franco-italienne.
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Perquisition musclée chez Cédric Herrou, l’homme qui aide les migrants
Chez Cédric Herrou, on commence à avoir l’habitude des perquisitions. Alors, quand ce militant qui aide les migrants à entrer, circuler et séjourner en France est interpellé pour la troisième fois mercredi soir, ses proches attendent patiemment les gendarmes dans sa maison. Jeudi, c’est depuis le jardin, autour d’un plat de pâtes et d’œufs durs, qu’ils ont vu déferler une vingtaine d’agents casqués, armés et les nerfs à vif. Des gendarmes venus perquisitionner l’habitation, le terrain et les véhicules de la figure emblématique de l’aide aux migrants de la vallée de la Roya, à une cinquantaine de kilomètres de Nice.
A 16h30 dans cette maison de Breil (Alpes-Maritimes), Marie s’est isolée avec Nasser derrière un rideau. Cette infirmière de Médecins du Monde soigne une plaie à la malléole et s’occupe du mal de gorge de ce jeune Soudanais. Dehors, Morgan (le frère de Cédric) Lucile et Émile (deux militants) et deux mineurs étrangers patientent. Ils débarrassent la table.
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Dans le même temps en contrebas, deux fourgons et cinq voitures des forces de l’ordre se garent au pied de la propriété. Venus pour une perquisition, les gendarmes grimpent en colonne et en petite foulées sur le terrain de Cédric Herrou. Quinze d’entre eux sont casqués, visières baissées, gilets pare-balles et armes à portée de main. En quelques minutes, ils écartent le photographe de Libération à l’aide d’une clef de bras (puis le mettront à terre un quart d’heure plus tard) et passent entre le tracteur, les poules et les ruches. Ils se déploient rapidement sous les oliviers avant d’encercler la maison. «Tout à coup, plusieurs hommes sont entrés et se sont mis à hurler tellement fort que je ne comprenais pas ce qu’ils disaient», raconte l’infirmière. Elle tire le rideau. «Je me suis retrouvée en face de quatre gendarmes, je n’ai vu que l’arme qu’ils pointaient. Autant de monde dans une si petite pièce, c’était proche de l’absurde.» La bénévole de Médecins du monde tente de rassurer Nasser, le jeune Soudanais s’étant mis à pleurer. «Ce qui m’a le plus traumatisée, c’est le sentiment éprouvé par ces enfants. Il y a là une maltraitance morale qui dépasse les limites. On était tous saisis, choqués et sans parole.»
Morgan et Lucile sont menottés. Émile reste à l’extérieur. A la demande des gendarmes, il s’occupe du chien noir de Cédric Herrou. «C’était complètement démesuré. Ils ont déboulé en gueulant et en nous tutoyant, raconte-t-il. J’ai rarement été témoin d’une telle violence. Elle n’était pas réellement physique mais elle était palpable dans l’atmosphère, dans le climat ambiant.» En moins de trente minutes, les gendarmes font le tour de la propriété. Lucile, Morgan et les trois mineurs embarquent dans les voitures des gendarmes. «Ces deux proches de Cédric Herrou ont été placées en garde à vue», confirme le procureur de la République de Nice. Quant aux moyens déployés : «C’est une affaire humainement hors-norme», répond-il.
La garde à vue de Cédric Herrou est prolongée de 24 heures. Non présent lors de la perquisition du domicile, son conseil Me Zia Oloumi juge ces mesures «disproportionnées» : «On a quasiment affaire à une brigade antiterroriste», dit-il. Cédric Herrou a été interpellé pour des faits qualifiés d’aide à l’entrée et au séjour.
http://www.liberation.fr/france/2017/01/21/la-roya-un-photographe-de-libe-malmene_1543020
Lors d’une perquisition chez Cédric Herrou, un photographe travaillant pour «Libération» a été mis à terre par les gendarmes et empêché de faire son travail.
- La Roya : un photographe de «Libé» malmené
Jeudi soir, alors qu’il était en reportage pour Libération dans la vallée de la Royachez Cédric Herrou, cet agriculteur récemment jugé pour avoir aidé des migrants à entrer en France, un photographe a été non seulement empêché de faire son travail, mais il a été par ailleurs malmené et même mis à terre par des gendarmes durant l’intervention, alors qu’il s’était clairement identifié auprès des forces de l’ordre. De telles pratiques sont inacceptables et la direction de Libération les condamne vivement. Nous avons demandé à Laurent Carré de nous livrer son témoignage sur ce qu’il s’est passé.
«Breil-sur-Roya, jeudi après-midi. Je profite du redoux au soleil sur une terrasse de la propriété de Cédric Herrou pour me faire détailler les circonstances de son interpellation la nuit précédente. Autour d’un plat de pâtes à la sauce tomate, Morgan, Lucille, Emile et Marie une infirmière venue apporter des soins à un jeune soudanais.
On plaisante sur les paroles de Cédric entendues quelques jours plus tôt, à l’occasion d’une réunion sur les suites à envisager pour faire face à tous ces jeunes candidats à une vie meilleure qui se trouvent hébergés chez des habitants de la vallée. «Bon, si ça continue, on va tous finir en prison. Il y a une audience de prévue en janvier, en février, en mars, en avril. Il n’y a rien en mai. Qui prend mai ?», avançait-il alors. Ce souvenir déclenche le rire général de la vingtaine de personnes présentes. Sauf Cédric lui-même qui est en garde à vue à ce moment-là.
A l’horizon, sur les reliefs nous faisant face, nous distinguons deux silhouettes marchant d’un pas lent. Je dis à Emile : «Tu vois ces gens, là-bas ?» «Des randonneurs», me répond-il. Des marcheurs un jeudi en fin d’après-midi… «Des randonneurs ou les RG ?», j’ose plaisanter. Emile avance : «Je m’attends à une arrivée des bleus d’un instant à l’autre.»
Je regarde mon portable. Un texto m’informe qu’un barrage de police est installé à l’ancienne douane. Je pars faire des images. En bas du sentier menant à la propriété, sept véhicules de gendarmerie, dont deux camionnettes, stoppent à cet instant. Quinze gendarmes se rassemblent au signal du chef de groupe. Ils sont casqués, avec visière, gilet tactique multipoches, tonfa, lacrymo et pince-monseigneur. Une dizaine d’autres gendarmes en uniforme et en civil se préparent également avec sacoche, mallette et dossier sous le bras.
La chef d’escadron de Sospel passe près de moi. Je tente d’engager la conversation au cas où un élément me manquerait. «C’est pas un peu disproportionné ?» Pas de réponse. Pour moi, plus haut, il n’y a qu’une infirmière, une jeune fille, deux gars en train de débarrasser la table et une poignée de (très) jeunes migrants. Pas d’ennemi public numéro 1, rien ne demandant un dispositif digne de la lutte contre le grand banditisme.
Les hommes se mettent en colonne en petite foulée. Deux gendarmes en civil équipés de brassards fluo s’adressent à moi : «Vous êtes obligé de prendre des photos ?» J’essaye une réponse générique : «Je fais mon travail Monsieur.» Nous poursuivons l’ascension vers le repaire des «malfaiteurs». Les hommes en noir se dispersent autour du poulailler, des ruches et des oliviers. Un chien aboie quand une voix venue de plus haut sonne la fin de ma progression : «Le journaliste, tu le fais redescendre !»
Ça doit être pour moi ça. Un gendarme vient à ma rencontre et me saisit le bras. J’essaye de faire des images, contestant tranquillement, quand un second m’attrape le bras gauche. Une subtile torsion arrière assez désagréable du bras plus tard, je me retrouve en bas sur ces sentiers escarpés.
Mes deux cerbères me relâchent près du bas de la piste : «Voilà vous restez là, vous n’allez pas plus haut.» Je lui fais observer que je me trouve sur une propriété privée et que j’y ai été invité. «Nous, c’est pareil, mais on s’invite», me répond-il. Je prends mon mal en patience attendant que la troupe redescende.
«La cheffe d’escadron arrive, elle va répondre à vos questions», fait-on savoir. Au travers des branches, je distingue Morgan précédé d’un gendarme en civil, puis Lucille suivie d’autres gendarmes.
Un gendarme me signifie vertement qu’il faut descendre maintenant. Je lui fais remarquer que j’attends sa patronne. Je fais des images des prévenus quand soudain j’entends : «Non, non, pas de photos», hurle le gendarme en civil. Je proteste et déclenche. Subitement le gendarme casqué me fiche au sol. Je déclenche de nouveau et un second casque entre dans mon champ de vision. Les bras associés saisissent ma main et mon boîtier. Ses doigts parcourent les touches de mon appareil photo.
Puis aussi soudainement que la tornade est arrivée sur moi, elle disparaît. Je me relève. Je rejoins les individus menottés sur la route nationale au trafic coupé pour l’occasion. Le gendarme en civil : «Je suis de Grenoble et on travaille souvent avec la presse et tout se passe bien», me dit-il, s’excusant à demi-mot pour l’attitude de ses collègues.
Les véhicules des deux prévenus sont perquisitionnés. «C’est perturbant que vous soyez là.» Je m’en excuse et lui assure que je ne cherche pas à interférer dans son travail. Au loin, je vois trois jeunes migrants, le visage grave, attendre qu’on leur ouvre la porte des véhicules les amenant vers un centre d’aide social à l’enfance. En remontant vers la maison, je croise l’infirmière les larmes aux yeux visiblement choquée. Elle me dit que les gendarmes sont entrés dans la maison en vociférant l’arme au poing.»
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