Monsieur Bruno Le Roux
Ministre de l’intérieur
Place Beauvau
75008 Paris
Copie adressée Paris, le 16 mars 2017
à Monsieur le premier ministre
Monsieur le ministre,
Nous souhaitons attirer votre attention sur les conditions d’entrée sur notre territoire de ressortissants de pays tiers à la frontière franco-italienne.
La situation qui prévaut dans les Alpes-Maritimes suscite une profonde émotion dépassant largement le cadre local, devant le sort fait à des femmes, des hommes et des mineurs venant chercher asile et protection dans notre pays d’autant que des poursuites judiciaires à l’égard des citoyens qui viennent en aide à ces personnes en situation de détresse semblent se multiplier. Ceci n’est pas sans poser question alors que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a souhaité supprimer le délit de solidarité par la loi du 3 décembre 2012, volonté réaffirmée tout récemment par l’actuel ministre de l’Intérieur.
De multiples témoignages nous ont été rapportés faisant état d’interrogations quant à la bonne application des dispositions législatives en vigueur notamment en ce qui concerne la mise en œuvre de l’article 213.2 du CESEDA.
Quelques exemples :
- l’ensemble des procédures sont mises en œuvre en français et donc dans une langue qui n’est pas compréhensible pour une grande partie des personnes qui se voient opposer un refus d’entrée sur le territoire. Nombre de ces personnes sont en effet des ressortissants soudanais, érythréens et afghans nonobstant la présence de ressortissants d’Afrique de l’Ouest.
- les contrôles effectués aux points de passage autorisés définis dans le cadre du rétablissement des frontières intérieures à l’espace Schengen ne doivent se faire que lorsqu’ils s’avèrent nécessaires et absolus et selon le droit européen sur les tronçons de frontières prédéterminés. Or ils semblent être faits de façon systématique, relativement arbitraire et avant tout basés sur la couleur de peau, ce qui donne lieu à des discriminations, y compris vis-à-vis de citoyens français.
- la possibilité de demander l’asile ne semble pas être clairement explicitée. Il semble que, la plupart du temps, les autorités établissent la décision de non admission en estimant implicitement que les personnes concernées ont fait une demande d’asile en Italie. Or l’Italie, peut être considérée comme le pays dit « de premier contact » il n’est nulle obligation pour un ressortissant de pays tiers cherchant la protection internationale sur le territoire de l’UE de déposer une demande d’asile dans le premier pays d’entrée et, en toute hypothèse, cela doit être vérifié.
Les chiffres mis en avant par la Préfecture des Alpes-Maritimes parlent d’eux-mêmes : alors que 30000 refus d’entrée sur le territoire français ont été prononcés dans les Alpes-Maritimes, soit 70% de l’ensemble des refus d’entrée sur le territoire français, seuls 700 à 800 demandes d’asile ont été déposées dans le département en 2016, soit plus ou moins 1% du nombre total des demandes d’asile déposées en France. Aucune demande d’asile n’a, semble-t-il, été déposée lors du franchissement de la frontière.
L’article 213.2 du CESEDA précise également que le refus d’entrée sur le territoire ne fait pas obstacle à un examen de la situation individuelle de chacune des personnes concernées. Ceci vaut donc tout particulièrement pour les demandeurs d’asile, déjà évoqués ci-dessus, et a fortiori, pour les mineurs.
En outre, les mineurs semblent se voir refuser l’entrée sur le territoire sans bénéfice du délai d’un jour franc obligatoire qui leur est applicable et sans que leur vulnérabilité soit étudiée au regard des adultes qui les accompagnent et qui peuvent y compris être des passeurs ou des trafiquants quand ces personnes ne sont pas des parents des mineurs en question.
Il semble également que les documents de refus d’entrée soient de plus en plus souvent préétablis, y compris le cochement de la case prévoyant le retour volontaire, que le nom d’un PPA soit inscrit y compris lorsque les contrôles sont effectués en d’autres parties du territoire.
Compte tenu des conditions dans lesquelles la France a demandé le rétablissement au contrôle à la frontière franco-italienne (COP21, puis suites des attentats de Paris), il nous semble donc préoccupant que celui-ci se traduise par une négation des droits des ressortissants des pays tiers et des garanties légales que l’Etat français doit leur assurer.
Ceci d’autant plus que la France est assez loin de tenir ses engagements vis-à-vis de l’Italie dans le cadre du mécanisme de relocalisation d’urgence. Seules 2445 personnes ont effectivement été relocalisées pour un engagement de 12 599.
C’est pourquoi nous vous demandons :
- de veiller à l’application intégrale de l’article L 213.2 du CESEDA et plus largement des droits fondamentaux des ressortissants des pays tiers tels qu’elle résulte du droit français, du droit européen, et du droit international ;
- de mettre en place des structures adaptées au bon respect de ses droits et notamment d’ouvrir un centre d’accueil et d’orientation dans les Alpes maritimes pour faire face aux besoins ;
- de veiller tout particulièrement au respect des droits des mineurs notamment quand ils sont non accompagnés ;
- de faire cesser les poursuites à l’égard des citoyens solidaires qui tout le moins ne doivent pas faire l’objet de contrôles récurrents des forces de police.
Nous serions ravis de pouvoir échanger avec vous de cette situation et nous vous saurions gré de bien vouloir nous faire part de votre sentiment à l’égard de l’ensemble de ces préoccupations.
Dans l’attente de votre réponse nous vous prions d’agréer, Monsieur le ministre, l’expression de notre très haute considération.
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Pierre Laurent
Secrétaire national du PCF
Eliane Assassi Dominique Watrin
Sénatrice Sénateur du Pas-de-Calais
Présidente du groupe communiste
républicain et citoyen (CRC)